Très
chère amie,
Je
prends la liberté de vous adresser cette épistre qui ne manquera pas de vous
étonner, ainsi que le serait ma très sainte mère, à la lecture de ce qui suit.
Mais je manque à la simple règle de politesse qui veut que votre santé et votre
bonheur soient ma seule préoccupation.
J’espère
de tout cœur, chère Princesse, que votre vie est comblée par l’attachement que
porte M. des Feuillets du Roy à votre gracieuse personne et que votre félicité
n’a d’égale que le bonheur éternel des anges du paradis. Votre amant est, certes, digne de vous, mais de grâce,
protégez-vous des douleurs cruelles de l’amour.
C’est
avec une grande timidité que je m’adresse à vous, tant votre bonté m’a
bouleversée, lorsque vous vous êtes enquise de mon état. Vous savez que j’ai
épousé, contrainte et forcée, ce vieux marquis dont la richesse a été
longuement soupesée par mon père. Mais cela ne peut me faire oublier mon poète si doux et si charmant que j’aime tendrement. A toute heure du jour, je pense à lui, émigré
en Italie, loin des foudres familiales.
J’ai supplié le marquis de faire notre voyage de noces en ce pays, baigné par
l’histoire antique. Mais ce triste sire préfère aller trousser les filles des
fermes du château, s’adonner à la chasse, et faire d’interminables parties de
dés.
Pendant
les longues soirées de trictrac ou de jeux de l’oie, je lis les pages des
Confessions. Ainsi, je n’ouïs plus les exclamations vaines des joueurs.
Monsieur Rousseau révèle les sentiments les plus intimes et ce qu’ils
signifient, avec une acuité rare. Peut-être met-il un peu trop en avant les
petits méfaits qu’il a commis en ne mentionnant pas son comportement
répréhensible en diverses époques ? Monsieur Voltaire l’accuse, à juste titre,
d’avoir abandonné ses enfants. Mais peut-on réellement être un bon père lorsque
l’écriture vous occupe et que les idées philosophiques vous sont naturelles ?
C’est pourquoi, je suis persuadée de sa sincérité. Il parle dans ses
Confessions du caractère des personnes et du rôle essentiel de la nature.
A
ce propos, je sollicite vos gracieuses lumières sur le rôle qu’une épouse doit
remplir, et sur ce qu’elle doit consentir, sans perdre sa dignité et sa fierté.
Chère Princesse, puisque vos yeux se sont posés sur moi, j’ose ici exprimer mon
désarroi de femme mariée. Comme nous toutes, je ne savais rien, avant de
partager la couche de mon mari, de ses
étranges habitudes nocturnes. Imaginez-vous que, lors de la nuit de
noces, ma robe de nuit fut froissée et arrachée par endroits, en raison de la
brutalité du Marquis ! Je me demandais bien ce qui lui arrivait et lui
proposais une potion. Cela le fit rire et il continua de me dénuder. Lorsqu’il y parvint, il explora mon corps
d’une manière que je jugeai offensante. Je me dérobai mais sa force est grande.
C’est un homme corpulent et massif. Je dus me soumettre à ses désirs. C'est une
chose que l'on ne peut concevoir : ces soubresauts pathétiques, ces
essoufflements grotesques, ces râles peu discrets et cette incapacité à se
décider pour interrompre ce va et vient ridicule. Est-ce bien de cela qu’il
s’agit, l’horrible réalité de l’acte de chair accompli par l’homme envers sa femme
? Je suis restée hébétée plusieurs jours, à la suite de ce que je considère
être un viol outrageant. Devrais-je supporter à jamais ces assauts dégoûtants,
toutes les nuits et parfois en pleine journée, à l’improviste, quels que soient
le lieu ou l’heure ?
J’avoue
ici, ma douce Princesse, être lasse et déprimée par ces batailles où je suis
assiégée et dois me rendre sans conditions. Hormis les jours de chasse où le
Marquis s’endort lourdement, grisé de viandes
et de vins, je survis à cette guerre incessante, allant d’effarement en
légitimes frayeurs, tant les choses du sexe occupent son esprit. Il n’est
jamais rassasié. Je l’ai surpris en posture honteuse, attaquant par l’arrière
une servante de cuisine, dont les jupes relevées dévoilaient un céans rebondi.
Ils criaient des mots lestes, s’invectivant l’un et l’autre, ce qui redoublait
leur ardeur. Cela ne me fit ni chaud ni froid. Je n’aime pas le Marquis. J’ai
supposé que plus il lutinait de filles, moins ses désirs nocturnes pour ma
personne seraient vivaces. Ce en quoi je me suis trompée car, jusqu’à présent,
il n’omet point de prendre son plaisir sans se soucier le moins du monde de
moi.
Ainsi
donc, chère Princesse, auriez-vous un conseil à me donner pour que ma couche ne
soit destinée qu’au sommeil ? N’y aurait- il point quelque onguent ou poudre
qui pourraient amoindrir les forces vitales de mon mari, au point de ne plus
pouvoir m’infliger ses continuelles turpitudes ? Certaines dames en usent de la
sorte, ai-je ouï dire. Croyez-vous qu’il s’agisse d’une bonne méthode ?
Peut-être aura-t-il un jour un accident de chasse ? Cela est fréquent dans nos
campagnes.
Si
tel miracle s’accomplissait, je n’appréhenderais plus de voir le coucher du
soleil embraser le ciel. Je me promènerais dans ma roseraie en pensant à
Monsieur de Ronsard, dont je dirais à mi-voix un poème, celui de la rose si
belle dont les pétales couvrent le sol. J’écouterais les bruits ténus du
crépuscule, tout en frottant dans mes paumes, des brins de lavande, exhalant
leur parfum envoûtant.
Contemplant
l’astre lunaire, je me sentirais délivrée, sans chaînes, avec la vie devant
moi. ! Des vers paisibles naîtraient sur mes lèvres …Rose parmi les roses,
Chère Princesse, votre sagesse n’a d’égale que votre beauté. Fasse le ciel que
nos vies soient paisibles et dignes d’intérêt.
Je
m’incline devant vous en une révérence sincère et profonde. Je sais que vous
serez pour moi une amie secourable. Je m’en remets à vous.
Respectueusement
et fidèlement vôtre,
Sophie,
Marquise de la Malice des Aubrets.
En
l’an de grâce mille sept cent soixante-dix, le 9 Novembre.
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