Ce fut un mariage champêtre, sous
le soleil de Mai, le mois des amours. A cette époque de l’année, tout
bourgeonne, les arbres, les plantes. La nature est en pleine floraison
printanière. Reine épousait Holly, le seul homme qu’elle admirait, l’unique,
l’inénarrable, l’émérite scientifique et poète, passionné par la vie des
abeilles. Les ruches bourdonnaient d’activité. Chaque alvéole était occupée.
Cela promettait une bonne récolte de miel.
Elle fut déçue de constater que
son époux consacrait tout son temps à ses chères Apis Mellifères, plus
communément appelées abeilles à miel. Il ne songeait pas à partir en voyage de
noces. Quand elle évoqua le sujet, il leva les bras au ciel en frétillant, à la
manière de l’abeille éclaireuse pour indiquer à ses congénères que la
nourriture est proche. Ayant une pensée émue pour sa jeune femme, Holly proposa
de lui apporter son déjeuner au lit. Il l’encouragea à faire une grasse
matinée. Elle acquiesça, alanguie à
l’idée de cette perspective oiseuse.
Sur le plateau bien garni, il y
avait une corbeille dont le contenu l’intrigua. Cela ressemblait à des télécommandes
mais elle ignorait les fonctions. Toute la matinée, elle expérimenta leur
usage. Elle se rendit compte que la maison était parfaitement équipée en
domotique. Elle prit l’habitude de gérer les travaux ménagers tout en restant
confortablement au lit. Elle avait baptisé chaque robot selon son rôle.
Ainsi Gloup était un aspirateur
dernier cri dont les lumières clignotaient de fureur lorsque le sol était très
sale. Il montait alors en puissance et, déchaîné, absorbait sans discernement
tout ce qui était à sa portée. Parfois il faisait une indigestion provoquée par
des objets hétéroclites.
Lorsque Gloup avait terminé son
travail, il était relayé par Brillex qui était le laveur à vapeur.
Il nettoyait tout, sans aucun
produit, préférant l’eau à toute chose. La machine à laver répondait au
merveilleux nom de Féedulinge tandis que le lave-vaisselle se rengorgeait de
son pseudonyme, Verronnet.
Les éléments automatisés
faisaient bon ménage. Ils se donnaient des coups de main. Si Brillex était
fatigué et renâclait à la tâche, Gloup assurait seul le nettoyage des sols. Le
seul robot qui prenait des airs supérieurs, était Pliparfait. Comme son nom l’indiquait, il s’estimait au-dessus de
la condition de ses congénère et s’appropriait la première place dans la
maison. Le jour où il repassa, à tort et à travers, le pantalon de Holly, tous
les robots se gaussèrent de lui avec délectation. Holly lui ordonna de recommencer
le repassage. Ce dernier émit des jets de vapeur agressifs et resta résolument
éteint. Rien ni personne ne lui avait jamais donné une tâche à refaire. Il se
drapa dans sa dignité en ignorant avec superbe l’ordre inconvenant. Le robot
toilette tournait autour du lit pour laver Reine qui prenait des poses
suggestives. Il se prénommait Gantaucorps. Puis venait le robot coiffeur,
appelé Figaro, car il chantait en permanence des airs d’opéra.
Toute la journée, une activité
plus ou moins silencieuse se déroulait dans la maison. Reine et Holly étaient
heureux et ne se posaient pas de questions, continuant leur petit bonhomme de
chemin.
Les abeilles étaient joyeuses dès
qu’elles sentaient la présence de l’apiculteur.
Rien ni personne ne les aurait détournées de leur ruche.
Le temps s’écoulait, sans
anicroche, uniforme et routinier. Reine prit de l’âge. Son corps changea. A ne
rien faire, elle vieillissait beaucoup.
Puis un jour, alors que Gloup
officiait avec méthode, sa maîtresse expira sans raison. Elle avait juste
arrêté ses fonctions vitales. Holly, éploré, chercha en vain une hypothétique
télécommande de la vie. Il ne la trouva pas. Toute la région assista aux
funérailles de Reine. Sur sa tombe, l’épitaphe fraîchement gravée,
disait : « Ici Gît Reine pour l’éternité ».
Reine était morte et enterrée,
fidèle à elle-même. Holly pleura si longtemps que ses larmes se tarirent. Il
prit l’habitude d’aller voir, chaque soir,
ses chères abeilles. Parfois, il s’asseyait devant les ruches et
méditait sur son triste sort.
Cette issue fatale le remplissait
de tristesse. Il ne dansait plus au
rythme des abeilles et se trompait de robots, tant et si bien que ces derniers se mirent en grève. Ils s’en
allèrent travailler ailleurs sans regrets. Rien n’est plus ingrat qu’un
automate domestique !
Ainsi Holly se contenta de peu et
vécut très âgé au milieu de ses abeilles, couvant du regard la reine immobile. Il
avait appris le langage des abeilles. Il zozotait, disait-on au village. Il
prit l’habitude de lancer un « zzzzzzzz » agressif dès qu’un curieux
s’approchait de ses ruches. Il était le savant ermite dont on racontait les
excentricités le soir à la veillée.
Ainsi la mémoire populaire le
rendit célèbre. Après sa mort à 115 ans et des poussières, les villageois organisèrent
un circuit touristique dont l’apothéose était les ruches de Holly. Une
exposition permanente fut organisée à propos de ses recherches sur les abeilles
et de ses inventions domestiques. Le miel de la ruche fut commercialisé.
Holly connut une gloire post
mortem. Le village devint prospère. Un monument fut érigé en son souvenir. Une
inscription en lettres capitales attirait le regard. On pouvait
lire l’épigraphe suivant :
« Merci à Holly »
« Que son
souvenir demeure à jamais »
Parfois, certains jours, les
abeilles venaient se poser sur la stèle honorifique. Les villageois prirent
l’habitude de prévoir le temps du lendemain en fonction de la taille de
l’essaim et de l’intensité du bourdonnement.
Invariablement, les augures
étaient justes.
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