La nouvelle, un art mineur ?
La littérature n’est pas affaire de cuisine. Et pourtant… La comparaison pourrait affleurer à
chaque tour de cuiller, dans la marmite des idées préconçues. Parmi ces clichés qui collent au cul des casseroles, on retrouve l’idée que la nouvelle est un standard de fainéants.
L’économie de mots implique-t-elle nécessairement l’indigence du texte ? Comme le plat
dont on mesure les calories, afin de respecter un régime alimentaire… Surtout, ne pas
dépasser les 40 000 mots, au risque de se hasarder sur les terres de la Haute Gastronomie du Roman. Impossible de rivaliser avec ses vins de grands crus, ses viandes aux fumets subtils, ses entremets délicats et ses rince-doigts parfumés aux agrumes. Au mieux, face à ce déploiement de saveurs, le nouvelliste fait figure d’adepte de la macrobiotique. Quand ce
n’est pas d’employé de fast food.
Mais alors, qu’en est-il des aphorismes de Char ou de Michaux ? Des syllogismes de Cioran?
Et des maximes de La Rochefoucauld ? De simples apéritifs ? Des noix de cajou et des olives, tout juste bonnes à faire patienter avant de s’attaquer à plus substantiel ?
Ne dit-on pourtant pas que les histoires les plus courtes sont les meilleures ? D’autant que le format n’a pas attiré que des toquards ! Parmi mes préférences : Maupassant, Poe, Barjavel, Boris Vian, Stephen King ou même Philip K. Dick … Tous se sont soumis à cette contrainte :
raconter en peu de mots. Aller à l’essentiel. Suggérer. Créer une connivence immédiate avec
le lecteur. Une adhésion totale. Tandis que le roman se donne le temps d’être savouré, la nouvelle doit se dévorer. Dès la première bouchée. Accrocher le lecteur. Le tenir en haleine jusqu’à son dénouement. Le soufflé ne doit pas retomber.
Ah ! La nouvelle… Fragile équilibre des oeufs montés en neige, défiant toute règle de gravité.
Voilà un format d’écriture qui, s’il est bien assaisonné, peut transformer l’anorexique littéraire le plus irréductible en boulimique invétéré… Car, sans vouloir faire monter la sauce, reconnaissons que ces petits assortiments de textes présentés dans ce recueil par Anne Courset-Stien sont autant de mises en bouche qui réinventent l’appétit des plus réticents.
Le thème central – les faux semblants- me touche particulièrement. Vous savez ? Ces
multiples facettes d’une réalité aux apparats interchangeables… Comment, par exemple,
déguiser l’amertume de l’endive avec de la pomme ? Ou simuler l’arrondi de la crevette
lorsqu’on ne dispose que de carottes ? Mais Anne ne s’en tient pas aux simulacres. Ne se
contente pas de simples recettes de cuisine. Elle plonge le lecteur directement dans l’envers
du décor. Le retourne comme un gant pour lui suggérer un autre point de vue. Une perspective nouvelle qu’il doit réinventer lui-même. Le pari est risqué, mais la mayonnaise prend.
La nouvelle ne nourrit pas son auteur. Ça se saurait. Et c’est peut-être pour cela qu’elle laisse souvent le lecteur sur sa faim…
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