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LE MENUET




Il restait assis des heures durant, contemplant le ciel et les étoiles. La nuit, avec son dôme étoilé, le fascinait. Il cherchait du regard l’étoile du berger. Il lui confiait son désarroi et ses doutes. Il n’avait que six ans. Et pourtant il était musicien dans l’âme. Son seul ami était un piano-forte. Il avait scellé un pacte avec l’instrument. Il ne s’en séparerait jamais. S’il rêvait beaucoup, il travaillait énormément.



Son père, chef d’orchestre, le supervisait et le formait aux multiples disciplines musicales. Néanmoins, l’enfant ne manquait pas de le surprendre par ses dons incontestables de compositeur.  Le temps arriva où le petit garçon fut présenté à  l’Archevêché de Salzbourg. Il charma  son auditoire et fit preuve d’espièglerie. L’évêque promut le père comme chef d’orchestre du palais et offrit au jeune prodige la charge de musicien en titre de la Cour. « Après Dieu, il y papa » répétait-t-il souvent. Il savait qu’il n’était pas comme les autres enfants. Il ne jouait pas à colin-maillard, ni à la balle, ni au jeu de l’oie…



Ce don extraordinaire faisait également rêver sa mère. Elle imaginait le succès, lui apportant richesse et renommée. Elle se voyait propulsée au faîte de la société, invitée partout, arborant sous les lustres illuminés, des tenues et des bijoux princiers. Mais son cœur de mère souffrait de voir son petit garçon livré corps et âme à la musique. Il composait, il déchiffrait, il créait. Bientôt il serait connu de toutes les Cours. Un personnage célèbre !



« Encore des fanfreluches »! s’écriait le père. Voilà bien les femmes ! Tu l’habilles comme une poupée ! L’enfant se mirait devant une glace sur pied, ornée de bois doré. Outre la longue veste de brocart et le jabot blanc, il portait des culottes serrées aux genoux sur des bas de soie. Les chaussures se paraient d’une boucle. La coiffure poudrée se distinguait par des bandeaux sur les oreilles, appelés « ailes de pigeon ». Le petit garçon ressemblait à un prince. Il était gracieux. Musicien accompli, il forçait l’admiration. Lorsqu’il se mettait au piano, une onde de plaisir anticipé parcourait l’assemblée. Il percevait dans le lointain quelques froufrous, les bergères et cabriolets déplacés, d’ultimes chuchotements. Alors seulement il commençait à jouer, entièrement voué à la musique.



De cette époque sont nées les premières œuvres de Mozart. Un menuet particulièrement gai et rythmé fut choisi par l’assistance. On dansa sur cette musique tous les après-midi. Le caprice du moment consistait à bander les yeux du jeune homme afin qu’il interprète l’une de ses œuvres. On estima, après coup, que son jeu s’en trouvait grandi. On le  gavait de friandises et de baisers qu’il ne refusait guère. Il conçut pour les femmes une passion dévorante, n’hésitant pas à lutiner les soubrettes dans les couloirs du palais. On le trouvait charmant et si précoce que chacune de ses plaisanteries rencontrait le succès.



Lors d’un bal donné en l’honneur de l’impératrice Marie-Thérèse, il fit tant et si bien que la fièvre gagna l’assistance. Les danses se succédaient sans arrêt. L’ambiance effervescente gagna l’Impératrice qui pria le jeune musicien de s’assoir à ses côtés. Mozart se sentit tellement timide qu’il se mit à faire le pitre. La cour attendit en silence la réaction de l’impératrice. Elle se mit à rire doucement. Prenant l’enfant dans ses bras, elle fit un tour complet sur elle-même. L’air médusé des courtisans l’amusa. Et c’est en riant aux éclats qu’elle se retira dans ses appartements.



Depuis ce jour, ne dit-on pas que Mozart valait bien un empire !

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