Au salon de Lille, avec les Editions Saint Martin et mes romans "Un si joli chemin" et "Vague à l'âme".
Extrait de "Vague à l'âme" :
J’étais
prisonnier des eaux grises et froides. Mes membres ondulaient mollement, tels
des lianes charnelles, épousant la masse liquide dont la douce étreinte était
mortelle.
J’ignorais ce que je faisais à cet endroit,
seul et oublié de tous.
Etendu sur le pont du bateau de pêche,
mon corps était recouvert d’une bâche. J’eus envie de dire que je n’avais pas
froid, que j’allais bien. Je parlais et personne ne m’entendait. Quelle étrange
sensation de dédoublement ! J’observais les mouvements de l’équipage
s’activant pour se préparer à accoster. Sur le quai, un groupe attendait
l’arrivée du bateau, des policiers sans aucun doute. D’ici, je distinguais
assez mal leurs physionomies. Je n’avais
pourtant rien à me reprocher.
J’assistais à la scène,
invisible témoin détaché de mon enveloppe corporelle. J’aurais voulu entrer en
contact avec les hommes qui m’entouraient mais j’étais dans un monde parallèle.
J’entendais les conversations mais je ne pouvais intervenir. Cela faisait environ une vingtaine de jours
que ma dépouille flottait dans l’eau. Le vent balayait mes cheveux délavés.
J’étais presque barbu, moi qui me rasais de près chaque jour. Quant à mon
teint, il n’était pas beau à voir. J’étais littéralement violacé et presque
méconnaissable. Ma mère n’aurait pas manqué de m'infliger ses recommandations à propos de ma santé :
-
Mon ange,
couvres-toi, tu es bleu de froid ! Tu vas attraper la mort !"
Extrait de "Un si joli chemin"
" Il prit le virage
lentement et freina en douceur. La route descendait vers la vallée en lacets
réguliers. Un chemin de terre bordé de
peupliers s’offrait à lui. Il s’y engagea, tout en cahotant dans les ornières
et s’arrêta devant une vieille bâtisse en pierre de taille.
Claudie, sa
compagne, était dans la cuisine et préparait le repas du soir. Il l’appela et
elle sortit sur le perron.
- Tu viens faire un tour avant le dîner ?
-
Si tu veux, attends, je baisse le feu de la
gazinière !
De caractère
ombrageux, secret et instable, il lui faisait subir ses humeurs, sans l’ombre
d’un remords ou d’une remise en question. Ils n’avaient pas d’enfant, ce
thème ayant été abordé au début de leur relation et Claudie n’avait pas insisté
devant son refus courroucé. N’osant évoquer certains sujets, elle allait de
plus en plus mal. Il partait le matin faire sa tournée de clients et ne
rentrait qu’à la nuit tombée. Taciturne, il lui adressait rarement la parole et
la considérait d’un œil froid et indifférent. Par moment, elle ressentait une
peur sournoise mais demeurait sans réaction. Elle était isolée, sans défense et
se bâtissait un cocon pour y vivre le mieux possible. C’était une illusion, elle
le savait. Elle ferait de toute façon ce qu’il voudrait.
Les jours
passèrent sans que rien ne vienne perturber le cours des choses. Serge était
toujours aussi peu loquace. Il paraissait même tourmenté. Claudie ne posait pas
de questions, faisant de son mieux pour que tout soit prêt à l’heure dite.
Rentré, il allait marcher un peu, dînait ensuite rapidement, puis s’asseyait
devant la télévision tandis qu’elle débarrassait la cuisine. Elle le rejoignait
ensuite et essayait de s’intéresser au film qu’il regardait. Souvent il
s’endormait, elle allait se coucher sans le réveiller et se recroquevillait
sous la couette épaisse.
Certaines
nuits, il venait la rejoindre et elle supportait ses assauts sans désir. Cela
n’avait rien d’agréable, elle se laissait faire passivement en se disant que ce
ne serait pas long. Pourtant elle avait été très amoureuse de lui et elle
éprouvait alors un réel plaisir entre ses bras. Ils s’étaient rencontrés à un
bal de village il y avait déjà une dizaine d’années. Elle avait su tout de
suite qu’ils feraient connaissance et seraient liés l’un à l’autre. Agée de
dix-huit ans à peine, impressionnée par l’assurance virile qui se dégageait de
lui, elle avait quitté ses parents, son emploi dans une boulangerie. Elle l’avait
suivi, éblouie et soumise, malgré l’importante différence d’âge existant entre
eux.
Il habitait
dans la région une maison assez délabrée qu’elle avait essayé de rendre plus
agréable. Elle ne savait pas vraiment ce qu’il faisait toute la journée sur les
routes. Il lui avait dit qu’il travaillait comme délégué commercial pour une
société de cartonnages et que son salaire suffisait amplement à les faire
vivre. Elle n’avait donc pas recherché d’emploi, passait son temps à s’occuper
de la maison et du jardin. Le soir, elle préparait toujours un plat qu’il
appréciait. Puis, ils avaient déménagé sans qu’elle comprenne vraiment les
motivations de ce départ. Une autre maison un peu plus grande lui prenait tout
son temps.
De fil en aiguille, leur relation s’était dégradée, elle ressentait
un malaise qu’elle ne pouvait expliquer et était prisonnière moralement. Ils
n’avaient pas d’amis ni de famille proche. Elle se réfugiait dans la
contemplation de la nature et dans la lecture, l’unique manière de s’évader du
quotidien plat et gris. Les seuls bouleversements qu’elle connaissait étaient
les décisions soudaines de départ et d’emménagement dans une nouvelle maison.
Elles avaient toutes un point commun, leur aspect vétuste et isolé. C’était
comme un nouveau défi pour elle, transformer leur résidence pour la rendre plus
accueillante et confortable. Elle y excellait.
De temps à
autre, elle l’accompagnait à Périgueux, la ville voisine, pour effectuer des
achats. C’était un grand jour pour elle, car cela se produisait rarement. Il
s’arrangeait pour faire les provisions sur son trajet. Fréquemment elle
établissait une liste de courses l’aidant à son retour à porter les provisions.
Tout s’amoncelait sur la table de la cuisine. Elle s’appliquait ensuite à les
ranger méthodiquement dans les placards et sur les clayettes du réfrigérateur. Cette
tâche fastidieuse l’absorbait entièrement et elle s’y adonnait avec rigueur. Puis
elle échafaudait les menus de la semaine. Le temps passait ainsi lentement et
inexorablement.
Un soir
cependant, elle entendit la voiture emprunter le chemin plus tôt que
d’habitude. Soulevant le rideau de la cuisine, elle vit Serge ouvrir le coffre
et prendre quelque chose de volumineux entouré d’une couverture. Il se dirigea
vers l’entrée située derrière la maison et monta directement au grenier. Un peu
étonnée, elle se mit néanmoins à préparer le repas et à mettre la table. Elle
décida de se taire et d’attendre les événements. Ils allèrent se promener avant
le dîner, puis s’attablèrent sans mot dire."
Fin de l'extrait
Commentaires
Enregistrer un commentaire
Commentez et je vous répondrai !