Je
me souviens de lui, le père, si grand, si fort qu’à ses côtés j’ignorais la
peur. Je me tenais à sa jambe de pantalon pour trottiner. Je regardais autour
de moi sans crainte. J’allais souvent avec lui tant j’aimais son contact. Quand
il me juchait sur ses épaules, je plantais mes mains dans ses cheveux bruns en
fermant les yeux. J’avais l’impression de toucher le ciel, en partie masqué par
la brume de chaleur donnant au paysage un aspect irréel.
Parfois,
avant qu’il ne parte pour les lointaines contrées de l’Asie, il ‘m’emmenait
avec lui, dans ses déplacements. A l’époque les enfants n’avaient ni siège
auto, ni ceinture de sécurité, ni console de DVD accrochée au dos du siège
avant. Ils écarquillaient les yeux en regardant intensément ce qui les
entourait. J’eus très tôt l’impression d’être privilégiée lorsque, en plein
désert, surgissait de nulle part, une horde d’enfants faméliques et dépenaillés
poursuivant la Jeep en criant. Mon père ne s’arrêtait pas. Il évoquait notre
sécurité, mot dont j’ignorais le sens.
A la
maison, il y avait des armes. Je croyais que c’était le cas de tout le monde,
même en France. J’entendis parler d’attentats, de prises d’otages, d’assassinats.
Je prêtais à ces mots un sens caché. En grandissant, je découvris le
dictionnaire. Je devins imbattable pour trouver un mot et donner sa
signification en un temps record. C’est à cette époque que naquit ma vocation
pour l’écriture, ma passion dévorante pour les livres. A cinq ans je tenais de
grands discours émaillés de mots difficiles. Dans l’entourage de mes parents,
on se plaisait à murmurer que je deviendrai quelqu’un.
Ce
souvenir que j’ai, au fil des années, idéalisé, symbolisant la protection, m’a
laissé le sentiment de quelque chose d’inaccompli, une vacuité émotionnelle,
une distance infranchissable, un vide intérieur.
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