AREA
51
Lorsque
j’embarque sur un vol à destination de Salt Lake City, je
suis un homme comblé. Mon rêve est devenu réalité. Enfin, je vais pouvoir m’approcher
de la zone 51, objet de mes fantasmes les plus secrets. Pendant le vol, J’envisage
toutes sortes de mésaventures et aussi des moments palpitants. Ma passion est à
son paroxysme. Elle est devenue une réalité tangible.
De
longues heures de vol me séparent du but de ma mission. Mon plan est simple et
imparable. J’ai pris tout le temps qu’il faut pour me mettre en situation et
éloigner de moi les craintes et les présages funestes.
Je
me revois, jeune globe-trotter, arpentant des terres lointaines et inexplorées.
A l’époque, j’étudiais avec passion les civilisations anciennes. Je photographiais
aussi toutes espèces de végétaux. Puis, vers la quarantaine, je fus pris d’une
passion dévorante pour les secrets d’état. Je me mis à préparer une enquête de
grande envergure sur l’inquiétante « Area 51 » située près de Salt
Lake City.
Il
s’agit d’un périmètre secret américain. Les rumeurs vont bon train à propos des
activités suspectes de la base américaine. Un millier de techniciens y
travaillent. Des navettes les conduisent à leurs postes ultra-secrets. Pas
moyen de les approcher de près ou de loin.
Le
même questionnement est revenu chaque jour sur le tapis. La plupart du temps,
il demeure sans réponse. Quelques apartés m’ont donné des frissons, témoignages
d’anciens agents cachés aux quatre coins du monde. Cela ne m’a pas découragé. J’ai
donc pris le temps nécessaire pour préparer sérieusement et discrètement mon
expédition dans le Nevada.
Soudain,
sans préambule ni annonce, l’avion entame sa descente. Je boucle ma ceinture en
songeant aux désagréments incontournables du passage en douane et à l’attente
interminable autour du tapis roulant pour récupérer mes bagages. Mes pensées
deviennent floues. .Je lutte contre le sommeil qui m’engourdit. Mes paupières
pèsent une tonne. Je respire une sorte de vapeur glacée, en sombrant dans le
néant.
C’est
ainsi que je me retrouve captif. Toutefois, lors de plusieurs prises de
conscience, je me rends compte que je suis couché dans un sarcophage de verre
éclairé artificiellement. Des ombres évoluent autour de moi. J’entends
vaguement des paroles émises dans un langage inconnu. Suis-je vivant ou
mort ? Je suis vivant. Je peux remuer mes doigts, j’ouvre mes paupières,
je déglutis.
Au
cours de l’un de mes réveils, j’ai la sensation d’être allongé sur une table
d’opération, ébloui par la lampe scialytique. A mes côtés, est étendu un
humanoïde blafard. Sa tête est disproportionnée par rapport à son corps. Il a
des membres courts et squelettiques. Ses yeux globuleux sont toujours en
mouvement.
Je
perds connaissance lorsque la scie entame mon crâne. J’ai la sensation d’être
examiné dans le moindre repli de mon être. Au loin, je perçois les
chuchotements habituels. Je suis à la merci de ces savants fous. Je comprends
ce qu’ils sont en train de faire. Tout est clair. Je ne peux que me soumettre,
sans défense, offert à leur effroyable science.
Durant
ma convalescence, je suis extrait de mon lit de verre à plusieurs reprises. Je
me sens faible. On me dorlote en murmurant des mots incompréhensibles. Je tente
de nouer un dialogue avec mes soignants. Au fil du temps, j’émets des sons
inarticulés auxquels ils répondent joyeusement en se grattant les cuisses et en
faisant de petits bonds. Dès lors, je m’aperçois que la fonction
« rire » n’a pas été programmée. Je suis donc un mutant triste !
Arrive
le jour où je suis mis en contact avec les autres mutants. L’apparence n’a pas
changé. Des humains comme les autres. Cependant, depuis leur trépanation, ils
sont soumis à la volonté des extra-terrestres.
Revenus
sur terre, les mutants exercent des responsabilités à haut niveau. Ils sont
guidés par le haut commandement. Par miracle, je réussis à échapper à la
réinsertion sur terre. Je dissimule mon existence en revêtant l’habit monacal.
Je me déclare missionnaire et parcoure le monde librement.Bientôt nous serons
totalement reliés à ceux qui nous gouvernent. Ils viennent tous d’ailleurs. Cet
ailleurs qui nous maintiendra en esclavage.
Je
contemple le ciel et ses fluctuations. Quelques nuages nimbés de lueurs roses
annoncent le lever du soleil. En apparence rien n’a changé. Et pourtant …
Anne
STIEN
Décembre
2018
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